"Le roi est nu".

Cette formule est couramment utilisée par les journalistes politiques pour décrire un dirigeant ne bénéficiant d'aucun pouvoir ou d'aucun soutien.

On dit par exemple : "Le président Macron ne dispose pratiquement d'aucun fusible : le roi est nu".

On ignore souvent qu'il s'agit d'une citation directement issue de "Les Habits neufs de l’empereur" (ou "Le Costume neuf de l'empereur"), un conte écrit en 1837 par le danois Hans Christian Andersen, qui lui a reconnu des origines espagnoles.

Résumé du conte d'Andersen

Il y a bien longtemps vivait un empereur qui aimait par-dessus tout être bien habillé et avait un habit pour chaque heure du jour.

Un beau jour, arrivent deux escrocs, qui prétendent savoir tisser une étoffe que seules les personnes sottes ou incapables dans leurs fonctions ne peuvent pas voir et proposent à l'empereur de lui en confectionner un habit. Celui-ci pense que ce vêtement sera exceptionnel et qu’il pourra lui permettre de repérer les personnes intelligentes de son royaume.

Les deux charlatans se mettent alors au travail.

Quelques jours plus tard, l’empereur, curieux, vient voir où en était le tissage de son habit. Mais il ne voit rien car il n’y a rien. Troublé, il décide aussitôt de n’en parler à personne, car personne ne voudrait d’un empereur sot.

Il envoie alors plusieurs ministres inspecter l’avancement des travaux. Lesquels ne voient rien non plus, mais n’osent pas non plus l’avouer, de peur de paraître idiots.

Tout le royaume parle de cette étoffe extraordinaire.

Le jour où les deux escrocs décident que le précieux vêtement est achevé, ils aident l’empereur à l’enfiler.

Ainsi "vêtu" et accompagné de ses ministres, le souverain se présente à son peuple qui, lui aussi, prétend voir et admirer ses vêtements.

Seul un petit garçon ose dire la vérité : "Mais il n’a pas d’habits du tout !" (ou dans une traduction plus habituelle : "le roi est nu !"). Et tout le monde lui donne raison. L’empereur comprend alors que son peuple a raison, mais continue sa marche sans dire un mot.

Source : wiktionary.org

"À la une", "La une", "Faire la une", "Être à la une", "Être en une".

Unes de journaux du monde entier, après les attaques terroristes perpétrées vendredi 13 novembre 2015 à Paris (75), au cours desquelles 130 personnes ont trouvé la mort et 400 ont été blessées

Ces différentes locutions verbales du langage courant, qui relèvent du vocabulaire et du jargon journalistique, signifient respectivement, par ellipse lexicale :

  • "À la PAGE une DES JOURNAUX".

On dit par exemple : "Le mariage du prince est à la une".

  • "La PAGE une DES JOURNAUX";

On dit par exemple : "La une est entièrement consacrée à cette victoire inattendue".

  • "Faire la PAGE une DES JOURNAUX".

On dit par exemple : "La démission du président fait la une".

  • "Être à la PAGE une DES JOURNAUX".

On dit par exemple : "La nomination de ce premier pape noir est à la une".

  • ou "Être en PAGE une DES JOURNAUX".

On dit par exemple : "La nouvelle de la mort de ce héros est en une".

Il s'agit là, me semble-t-il, d'un cas assez peu fréquent d'omission d'un ou plusieurs mots au début ET à la fin d'une locution.

5 colonnes à la une

La formule "À la une" a été popularisée par le titre d'une célèbre émission de télévision de la RTF puis de l'ORTF, "5 colonnes à la une".

Cette formule qualifie une information suffisamment exceptionnelle pour être annoncée sur toute la largeur de la première page d'un journal quotidien.

Un titre du journal "Le Monde" imprimé "cinq colonnes à la une"
Un titre du journal "Le Monde" imprimé "cinq colonnes à la une"

Emblématique de la présidence du général de Gaulle, car ayant été diffusée du 9 janvier 1959 au 3 mai 1968, "5 colonnes à la une" l'accompagne de sa prise de fonction jusqu'à pratiquement son départ.

Cette émission a lancé le genre du magazine de reportages à la télévision française et est, aujourd’hui encore, considérée comme une référence du genre.

Les plus de 55 ans se souviennent toujours du célèbre générique de ce rendez-vous vespéral mensuel, qui égrenait le nom de ses producteurs - "les trois Pierre"- et de son réalisateur : Pierre Lazareff, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et Igor Barrère.

Et de son indicatif musical, "La danse des flamme", extrait de la musique du ballet "Le rendez-vous manqué" de Michel Magne.

La première émission, dans son intégralité :

L'origine directement littéraire du nom de l'enseigne "Starbucks".

Logo de l'entreprise états-unienne Starbucks, fondée en 1971

Starbucks est une chaîne de cafés états-unienne fondée en 1971, à Seattle (Washington), sous le nom de Starbucks Coffee Company par Zev Siegl, Jerry Baldwing et Gordon Bowker, associés au torréfacteur Alfred Peet.

Elle a été rachetée en 1987 par Howard Schultz, le directeur marketing, qui la rebaptise Starbucks Corporation et lui fait vendre des boissons au café en plus des cafés en grain qu'elle se contentait de proposer jusqu'alors.

En partie en franchise, il s'agit de la plus grande chaîne de ce genre dans le monde, avec plus de 28 000 établissements implantés dans près de 80 pays, dont 12 000 aux États-Unis d'Amérique.

L'origine littéraire du nom "Starbucks"

L'entreprise tire son nom de "Starbuck", l'un des officiers du Pequod, le navire du capitaine Achab, qui poursuit un gros cachalot blanc surnommé "Moby Dick", dans le célèbre roman d'aventures états-unien du même nom, écrit en 1851 par Herman Melville ("Moby Dick or The whale" en anglais, c'est à dire "Moby Dick ou La baleine" ou "Moby Dick ou Le cachalot").

Édition originale de 1851 du roman états-unien "Moby Dick" de Herman Melville (1851)

D'où le logo de couleur brune dessiné par Terry Heckler et représentant une sirène couronnée dotée de deux queues de poisson, inspirée d'une gravure scandinave du XVIe siècle.

Logos successifs de l'enseigne états-unienne Starbucks

Le concept Starbucks

Les établissements Starbucks vendent exclusivement leur propre marque de café (moulu ou en grains), du thé, des boissons, des pâtisseries, des ustensiles et des machines à café.

Produits Starbucks

Mais l'entreprise vise principalement à "offrir une expérience-consommateur", en proposant à sa clientèle un service unique qu’elle ne retrouvera pas dans les cafés d’une autre enseigne (confort, calme,etc.).

Produits Starbucks

Ainsi que des prix qui défient parfois l'entendement, puisqu'une tasse de 350 millilitres de café peut y coûter jusqu'à... 12 dollars !

Indépendamment de ceux-ci, l'entreprise fait également l'objet de critiques concernant notamment sa politique de ressources humaines, ses produits et sa politique écologique.

Source : wikipedia.org

"Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés", "Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés" ou "Fils de cordonnier est le plus mal chaussé".

Ces différentes expressions proverbiales françaises signifient que l'on est souvent mal pourvu des avantages qu'on est le plus à même de se procurer par son état, par sa position.

On utilise donc ces expressions de façon ironique pour se moquer gentiment des personnes qui ne profitent pas des produits ou du savoir-faire que peut leur procurer leur métier.

Ainsi par exemple :

  • d'un cuisinier qui ne dispose pas, chez lui, d'un équipement correct pour cuisiner,
  • d'un peintre en bâtiment, dont la façade de la maison n'a pas été repeinte depuis une éternité,
  • ou d'un médecin qui ne possède pas de pansements ni d'antiseptique chez lui, lorsque l'un de ses proches se blesse.

Ces proverbes sont tirés d'une réflexion de Montaigne, sans doute à partir d’un cliché qui devait déjà être répandu à son époque, mais qu’il a sans nul doute contribué à installer.

Dans le livre I de son oeuvre phare "Les Essais" (1581), il écrit en effet que "Quand nous voyons un homme mal chaussé, nous disons que ce n’est pas merveille s’il est chaussetier".

Sources : wikipedia.org, www.expressions-francaises.fr et www.canalacademie.com

"Panurgesque", "Panurgien" ou "Panurgique".

Ces trois adjectifs rigoureusement synonymes du registre soutenu qualifient ce qui relève du "Panurgisme" et signifient : "moutonnier, suiviste, conformiste".

"À l'insu de mon plein gré".

Cette drolatique locution adverbiale du registre familier est entrée dans le langage courant depuis une quinzaine d'années.

Sens initial

Il s'agit d'une expression purement humoristique, construite de manière totalement artificielle par juxtaposition des formules parfaitement antagonistes "À mon insu" et "De mon plein gré" et signifiant tout simplement "À mon insu" ou "Contre mon gré".

On finit parfois par oublier que cette fomule a été popularisée à la toute fin des années 1990 par l'émission quotidienne de la chaîne de télévision payante française Canal Plus "Les Guignols de l’Info".

En effet, ces derniers l'ont fait répéter en boucle, des mois durant, à la marionnette du champion cycliste français Richard Virenque, afin de ridiculiser ses déclarations peu crédibles de 1998, en vertu desquelles il affirmait, contre toute évidence, parfaitement ignorer avoir été dopé.

Ce qui a naturellement fait rire la France entière.

La marionnette du champion cycliste français Richard Virenque dans "Les Guignols de l'info" en 1998
La marionnette du champion cycliste français Richard Virenque dans "Les Guignols de l'info" en 1998

Nouveau sens actuel

Avec le temps, cette amusante formule, initialement conçue de manière volontaire comme un pur solécisme, a fini par prendre, me semble-t'il, un sens nouveau.

Et elle s'utilise couramment de nos jours pour, en quelque sorte, signifier sa satisfaction que quelque chose ait eu lieu ou se soit produit (donc "De mon plein gré"), bien que l'on n'y ait pas soi-même activement participé et n'en ait même rien su jusqu'alors (donc "À mon insu").

On dit par exemple : "Alors, il paraît que tu as une nouvelle assistante ?" "Oui, ça c'est fait à l'insu de mon plein gré !".

Ou : "Il paraît que vous allez en Grèce cette été avec ta femme ?" "Oui, ça c'est décidé à l'insu de mon plein gré !".

Là où les "Guignols" ont trouvé leur source d'inspiration

Naturellement, même s'il n'a jamais brillé par sa syntaxe - mais ce n'est pas ce que l'on demande en priorité à un grimpeur d'exception, comme il l'était -, Richard Virenque n'a jamais déclaré "À l'insu de mon plein gré"...

Mais les Guignols de l'Info ont tout de même largement trouvé leur inspiration dans un entretien accordé à une journaliste :

- Richard Virenque : "Les ampoules je les connais parce que bon, on fait souvent des récupérations. Et pour ma part, ça peut pas être à son insu parce que je vois et... Une piqûre à son insu ça doit être difficile".

- La journaliste : "À VOTRE insu"...

- Richard Virenque : "Voilà, à mon insu".

Le champion cycliste français Richard Virenque interrogé par les organes d'information pendant le tour de France 1998
Le champion cycliste français Richard Virenque interrogé par les organes d'information pendant le tour de France 1998

Source : wikipedia.org

"On se lève tous pour Danette !".

Publicité Danette 1986

"Cette célèbrissime formule publicitaire des années 1980 est assurément entré dans la mémoire collective et même, je crois, dans le langage courant des français.

Chanté par le chanteur français Richard Gotainer, de 1979 à 1992, ce slogan a contribué à l’incroyable succès de cette marque commerciale de crème dessert industrielle, créée par la société Danone en 1970 et consommée par 50% des ménages français en 2011.

La crème dessert industrielle de Danone "Danette" : dans les années 1980 et en 2016

Il ne s'agit pourtant que du refrain de la chanson de Gotainer et pas du slogan de cette marque, qui était... allez ; je vous le souffle, mais je suis bien certain que la plupart des plus de 40 ans s'en souviennent : "Que tous ceux qui aiment la Danette se lèvent !"

La publicité télévisée de 1986 :

La publicité télévisée de 1981 :

"Le rire est le propre de l'Homme".

C'est à l'écrivain français François Rabelais que nous devons cet aphorisme très célèbre.

On le trouve en effet dans l’"Avis aux lecteurs" ouvrant son deuxième roman, le célèbre "La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quintessence. Livre plein de Pantagruélisme", ou plus simplement "Gargantua", écrit en 1534.

Rabelais y écrit ainsi : "Mieulx est de ris que de larmes escripre, pour ce que rire est le propre de l'homme".

Soit, en français moderne : "Mieux vaut écrire des choses comiques que des choses tristes, parce que le rire est le propre de l'Homme".

Selon les critiques, ce passage du texte de Rabelais serait inspiré d'un passage du traité "Les parties des animaux" d'Aristote, dans lequel ce dernier défend l'idée que : "L'homme est le seul animal qui ait la faculté de rire".

Source : wikipedia.org

"Le panurgisme", "Se comporter en mouton de Panurge", "Un mouton de Panurge".

Le terme "Panurgisme" fait référence à "Panurge" un personnage de fiction, ami de "Pantagruel" dans "Le Quart Livre" de François Rabelais, publié en 1548.

Le "panurgisme" désigne la tendance à "se comporter en mouton de Panurge", c'est à dire le conformisme, le suivisme ; le comportement d’un individu ou un groupe d’individus imitant les autres, suivant un modèle, une mode, un mouvement ou une majorité par simple principe, sans réflexion ou choix délibéré de leur part, de façon presque inconsciente.

On dit par exemple : "Le panurgisme de mes contemporains ne laisse pas de me sidérer : les gens suivent massivement les modes et aiment ce qu'aiment les autres en même temps que les autres !".

Les adjectifs correspondants sont "panurgesque", "panurgien" et "panurgique".

Source : wiktionary.org

"Peser un âne mort".

Gravure de Gustave Doré (1867) illustrant la fable de Jean de La Fontaine "Les deux chiens et l'âne mort" (1678)

J'aime bien cette expression du registre familier en forme d'idiotisme animalier signifiant"peser très lourd, en parlant d’une chose dont le déplacement occasionne des difficultés".

La signification de cette locution verbale trouve son origine dans la fable de Jean de La Fontaine "Les deux chiens et l’âne mort", publiée en 1678 dans le second recueil des "Fables de La Fontaine" (vingt-cinquième fable du Livre VIII).

On dit par exemple : "Tu peux m'aider à descendre la vieille machine à laver, s'il te plaît : elle pèse un âne mort !".

Les deux chiens et l’âne mort

"Les vertus devraient être soeurs,
Ainsi que les vices sont frères.
Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos coeurs,
Tous viennent à la file ; il ne s'en manque guère.
J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.
A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.
L'un est vaillant, mais prompt ; l'autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux, le chien se pique d'être
Soigneux, et fidèle à son maître ;
Mais il est sot, il est gourmand :
Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement,
Virent un âne mort qui flottait sur les ondes.
Le vent de plus en plus l'éloignait de nos chiens.
Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens :
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes ;
J'y crois voir quelque chose. Est-ce un boeuf, un cheval ?
- Eh! qu'importe quel animal ?
Dit l'un de ces mâtins ; voilà toujours curée.
Le point est de l'avoir; car le trajet est grand ;
Et de plus, il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau ; notre gorge altérée
En viendra bien à bout : ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine.
Voilà mes chiens à boire : ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie ; ils firent tant
Qu'on les vit crever à l'instant.
L'homme est ainsi bâti : quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparaît à son âme.
Combien fait-il de voeux, combien perd-il de pas,
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire!
Si j'arrondissais mes États!
Si je pouvais remplir mes coffres de ducats !
Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire !

Tout cela, c'est la mer à boire ;
Mais rien à l'homme ne suffit.
Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,
Il faudrait quatre corps ; encor, loin d'y suffire,
A mi-chemin je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems bout à bout ne pourraient
Mettre à fin ce qu'un seul désire".

Sources : wikipedia.org, wiktionary.org et www.la-fontaine-ch-thierry.net

"Se matagraboliser le cerveau".

Un nourrisson tenu par sa maman contre sa poitrine, se "matagrabolisant" le cerveau ("réfléchissant")

J'adore cette formule méconnue du registre soutenu, qui signifie : se triturer le cerveau ; se tourner et retourner le cerveau ; ruminer dans sa tête.

Autrement dit, dans le langage courant : réfléchir.

Le verbe "Matagraboliser", qui signifie littéralement "Se fatiguer l'esprit", a été forgé par le génial Rabelais, en 1534, à partir de l'ancien verbe "Grabeler" qui signifiait : fouiller, examiner avec attention.

Et on le trouve au chapitre 18 de son deuxième roman, le célèbre "La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel, jadis composée par M. Alcofribas abstracteur de quintessence. Livre plein de Pantagruélisme", ou plus simplement : "Gargantua".

Il existe cependant énormément d'autres façons de dire "Réfléchir" en français ; et cela du registre familier au registre soutenu, en passant par le langage courant.

"En route, mauvaise troupe !".

Cette expression du registre désuet signifie "En avant !" et s'adresse à un groupe amical ou familial.

Un père de famille peut par exemple dire à ses enfants, au moment de partir à la plage, - surtout s'ils sont relativement nombreux - : "En route, mauvaise troupe !".

Contrairement à ce que pense, je crois, l'immense majorité des gens, cette formule ne constitue en rien un idiotisme militaire, mais a directement pour origine... un poème de Paul Verlaine, publié en 1884 dans le recueil "Jadis et naguère" et intitulé "Prologue", dont elle constitue le premier vers !

Prologue de Paul Verlaine (1884)

"En route, mauvaise troupe !
Partez, mes enfants perdus !
Ces loisirs vous étaient dus :
La Chimère tend sa croupe.

Partez, grimpés sur son dos,
Comme essaime un vol de rêves
D’un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.

Ma main tiède qui s’agite
Faible encore, mais enfin
Sans fièvre, et qui ne palpite
Plus que d’un effort divin,

Ma main vous bénit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits désespoirs,

Petits espoirs, douleurs, joies,
Que dès hier renia
Mon coeur quêtant d’autres proies.
Allez, aegri somnia".