"Parce que c'était lui, parce que c'était moi".

J'aime beaucoup cette jolie formule de Michel de Montaigne, célébrant dans ses célèbres Essais, l'amitié fulgurante et passionnelle, promise à une longue postérité, qui l'unit à Étienne de la Boétie.

L'écrivain français Michel de Montaigne
L'écrivain français Michel de Montaigne

"Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi".

Ces deux écrivains français ne se sont connus et fréquentés que durant les quatre dernières années de la vie de La Boétie, de 1558 à 1563, mais leur amitié passe pour l'une des plus solides et des plus profondes qui soient.

Et, quatre siècles et demi plus tard, on a toujours coutume de se référer à eux lorsqu’on veut définir le modèle des amitiés véritables.

Emporté prématurément par la maladie à l'âge de 33 ans, Étienne de La Boétie avait eu une vision prémonitoire de ce succès posthume, puisqu'il avait écrit à Montaigne, dans un long poème en latin : "Si le destin le veut, la postérité, sois-en sûr, portera nos deux noms sur la liste des amis célèbres".

L'écrivain français Étienne de la Boétie
L'écrivain français Étienne de la Boétie

"Parce que c'était lui ; parce que c'était moi" ... Peut-on mieux affirmer que par cette phrase l'indicible du choix d'objet amical ? Revendiquer plus clairement l'absolue singularité que Montaigne prêtait à cette relation, n'ayant besoin que d'elle-même et ne renvoyant qu'à elle-même ? Relation dont on ne peut exclure la dimension homosexuelle, et dont l'intensité fut à maints égards exceptionnelle.

Une amitié exceptionnelle

  • Par ses débuts d'abord, qui prennent littéralement l'allure d'un coup de foudre : "à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre", écrit Montaigne.
  • Par sa totale exclusivité ensuite : "les amitiés communes, on les peut départir, on peut aimer en celui-ci la beauté, en cet autre la facilité de ses moeurs (...) ; mais cette amitié qui possède l'âme et la régente en toute souveraineté, il est impossible qu'elle soit double".
  • Par ses conséquences, enfin, puisque les Essais, dont l'entreprise comblait tant bien que mal l'absence de l'ami, n'auraient peut-être pas été si La Boétie n'avait brutalement disparu.

"Loin que l'amitié de La Boétie ait été un accident de sa vie, il faudrait dire que Montaigne et l'auteur des Essais sont nés de cette amitié et qu'en somme, pour lui, exister, c'est exister sous le regard de son ami", souligneait Maurice Merleau-Ponty, en 1960 ("Signes").

Si idyllique fût-elle, cette relation dans laquelle les âmes "ne retrouvent plus la couture qui les a jointes" ne se déroula pas, cependant, sans révéler quelques fils de discorde.

Une amitié idéalisée

D'après les érudits de Montaigne, il semble que celui-ci refusa à La Boétie, qui en fut très affecté, de publier son Discours de la servitude volontaire, oeuvre de jeunesse qui circulait alors sous le manteau. Le livre ne sortit qu'en 1574, à l'instigation de partisans calvinistes, dans une édition pirate et anonyme, avant d'être republié en 1576 avec le nom de l'auteur et sous son titre d'origine.

Comme quoi la plus forte amitié, hors la lumière zénithale de l'idéalisation, comporte elle aussi ses zones d'ombre.

Sources : www.franceculture.fr et www/lemonde.fr Catherine Vincent

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