Découvrez-donc ma première rencontre avec ces étranges créatures animales, que sont le "Zâne", le "Râne", le "Kâne", le "Tâne", le "Lâne", le "Nâne", le "Fâne" et le "Dâne" !
La scène se situe en fin de journée, début 1965, de l'autre côté de la Méditerranée. J'ai 3 ans et demi et je joue sur le balcon de l'appartement de mes parents. Mon père me rejoint et attire mon attention sur l'arrivée progressive, près de la fontaine, d'un petit troupeau d'ânes venus s'abreuver. Il s'agit là d'un animal que je n'ai pas encore eu le loisir de voir et je bondis donc, assez émerveillé par le spectacle si proche.
Là, commence un dialogue que n'aurai pas renié le regretté humoriste Raymond Devos ! Jugez-en plutôt :
Mon père : "Regarde Jean-Pierre les ânes qui arrivent !"
Moi : "Oh ! Y-en a beaucoup des zânes !
Et y-a un petit zâne aussi là-bas !" (sic)
Mon père : "Non, Jean-Pierre, on dit un petit âne...
Et - c'est ma foi vrai que c'est bien compliqué ! - un... âne !"
Moi (pas contrariant) : "Et le grand nâne là-bas il est joli aussi !" (sic)
Mon père : "Ce n'est pas un grand nâne, mais un grand âne !"
Moi : "Ah bon ? Comme le petit alors... Regarde papa ! Y-a quatre tânes qui boivent" (sic)
Mon père : "Euh, Jean-Pierre, on dit quatre ânes..."
Moi : "Encore un autre, papa ! Y-a cinq rânes qui z'ont soif !" (sic)
Mon père : "C'est compliqué, hein Jean-Pierre, parce que là il faut dire cinq ânes !"
Moi : "Oh là là ! Regarde ! C'est un beau kâne celui-là !" (sic)
Mon père : "Décidément tu n'as pas de chance, : ce n'est pas un beau kâne mais un bel âne !"
Moi : "Ah bon ? (toujours pas contrariant pour deux sous) Oh, regarde papa, il a un copain tout noir aussi : ça fait deux belles lânes alors !" (sic)
Mon père : "Là non plus, ça ne va pas mon chéri : ce sont deux beaux ânes !" (sic)
Moi : "Ah bon comme tout à l'heure alors ?"
Mon père (découragé) : "Euh, oui, c'est cela, si tu veux..."
Moi : "Y-en beaucoup hein maintenant !"
Mon père : "Ah ça oui alors ; tu veux qu'on les compte ensemble ? Regarde : un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit... et neuf !"
Moi : "Neuf zânes ! C'est une grande famille alors !" (sic)
Mon père : "Non, Jean-Pierre, on dit neuf ânes !"
Moi : "Mais c'est une grande famille de fânes, hein papa !" (sic)
Mon père (désespéré) : "Garrgggl ! Non Jean-Pierre, on doit dire : une famille d'ânes !"
Moi (concluant) : "Ah bon ! Pourtant tous ces dânes y sont presque pareils ! Alors c'est compliqué pour moi, hein ? (sic)
Oh t'as vu ? Là, y en a un qui trouve ça rigolo !"
De fait, aujourd'hui encore je pense - et sans doute partagez-vous ce sentiment avec moi - qu'il vaut mieux rire de ce problème de liaisons à géométrie variable, décidément bien compliqué !
Surtout pour les enfants et nos amis étrangers apprenants de FLE ! Et c'est donc avec une profonde compassion et un souvenir ému que je leur dédie cet article.
Quelle histoire charmante...